Définition


Sous sa forme actuelle, la bande dessinée constitue un mode de narration utilisant une succession d'images incluant (sous la forme de "bulles", ou "ballons") les réflexions, les sentiments ou les pensées des protagonistes.


       

 

 

 

 

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Qu'est-ce-que la bande dessinée ?


Les bandes dessinées sont des récits fondés sur la succession d'images dessinées, accompagnées le plus généralement de textes. La bande dessinée est un mode d'expression propre au XXème siècle, bien qu'il soit né antérieurement ; il se distingue nettement des genres narratifs qui lui sont pourtant apparentés, comme le roman ou le roman-photo. Les bandes dessinées sont publiées sur des supports extrêmement divers : dans la presse générale, qui peut leur consacrer une fraction de page (une simple bande, que l'on appelle un "strip") ou plusieurs pages - voire des suppléments spéciaux -, dans des magazines spécialisés ou sous forme d'albums contenant une ou plusieurs histoires. Souvent humoristique, surtout à ses débuts (d'où son nom de "comics" en anglais), la bande dessinée s'est élargie aux genres les plus divers : l'aventure, le policier, l'espionnage, la comédie dramatique, l'érotisme, etc.

 

 

 

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Les précurseurs


 

William Hogarth

On peut considérer comme les premières bandes dessinées au sens moderne du terme, les réalisations du peintre britannique William Hogarth, qui utilisa la gravure satirique pour ridiculiser les vices et les travers de la société de son époque (la Carrière de la prostituée, 1732 ; la Carrière du libertin, 1735) et publia une série de pamphlets moralisateurs sous la forme d'une suite d'estampes s'enchaînant à la manière d'un récit. Hogarth eut de nombreux successeurs en Grande-Bretagne, notamment Thomas Rowlandson (1756-1827), qui créa en 1809 le personnage du docteur Syntax.

 

Les histoires en images de Rodolphe Töpffer

En 1827, s'inspirant en partie des gravures de Hogarth et du docteur Syntax de Rowlandson, dont il existait une traduction en français, le Suisse Rodolphe Töpffer (1788-1846), maître de pensionnat à Genève, commença à écrire l'Histoire de M. Jabot, récit humoristique composé de lithographies. Il réserva d'abord ses créations à ses élèves et à ses amis, mais, à partir de 1833, encouragé par les éloges de Goethe, il les édita (les Amours de M. Vieuxbois, 1839 ; Histoire de M. Cryptogramme, 1845).

Töpffer fut également l'un des premiers théoriciens de ce nouveau genre, qu'il analysa dans son Essai de physiognomonie (1845). Ses albums furent traduits, mais également largement copiés et plagiés : dès le XIXe siècle, les illustrateurs français Cham (Histoire de M. Lajaunisse, 1839), Gustave Doré (les Travaux d'Hercule, 1847) et Caran d'Ache (les Courses dans l'Antiquité, 1881) reprenaient le principe des "histoires en images", principe que l'on retrouvait déjà dans les images d'Épinal diffusées par la maison Pellerin depuis le milieu du XVIIIe siècle.

 

Max, Moritz et Ally Sloper

À la suite de Töpffer, l'Allemand Wilhelm Busch (1832-1908) publia à partir de 1865 dans le journal munichois Fliegende Blätter, les aventures de Max und Moritz, une série d'histoires mettant en scène un duo de garnements jouant des tours pendables à leur entourage. Son style fut largement imité, en particulier par le Britannique Charles Henry Ross, créateur en 1867 avec la scénariste française Marie Duval, du personnage d'Ally Sloper, un héros paresseux et roublard conçu pour le journal Judy. Très populaire, Ally Sloper devint en 1884 la vedette d'un hebdomadaire bon marché qui lui était entièrement consacré, le Ally Sloper's Half Holiday. En Grande-Bretagne, la série est considérée comme la première bande dessinée moderne.

  

 

 

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La bande dessinée américaine


Les pionniers

Nombreux en Grande-Bretagne, les illustrés humoristiques étaient également légion aux États-Unis, avec des titres comme Puck, Judge ou Life. Cependant, dès les années 1890, ces hebdomadaires eurent à faire face à la concurrence des grands quotidiens d'information, qui débauchaient leurs meilleurs dessinateurs pour leur confier l'illustration de leurs suppléments dominicaux en couleurs. En effet, ces nouvelles rubriques étaient des armes de poids dans la guerre des tirages comme celle qui opposa un moment à New York le New York World de Joseph Pulitzer et l'Evening Journal de William Randolph Hearst.

Traitant le plus souvent de l'actualité, usant d'un humour destiné essentiellement aux adultes, les bandes dessinées étaient conçues en fonction du lectorat du journal. Très vite, elles représentèrent le meilleur moyen d'entretenir un suspense au jour le jour, avec de nombreuses aventures à épisodes, telles Little Nemo in Slumberland de Winsor McKay, Wash Tubbs de Roy Crane, The Yellow Kid de James Guilford Swinnerton, Little Orphan Annie d'Harold Gray, ou encore Thimble Theatre d'E. C. Segar, dans lequel Popeye le marin fit sa première apparition en 1929.

  

Little Nemo : Petit garçon plongé dans le pays des rêves, Little Nemo vit chaque nuit des aventures merveilleuses.
Amoureux d'une jeune princesse, la fille du roi Morphée, il découvre des contrées insolites et grandioses en compagnie
de Flip, un garnement masqué affublé d'un cigare. La série connut dès ses débuts un succès considérable et devint rapidement l'un des plus grands classiques de la bande dessinée américaine.
Windsor McCay, Little Nemo in Slumberland, planche parue dans le NewYork Herald en 1908.


Cette activité se révéla rapidement une véritable manne financière. Les droits cédés à d'autres journaux, la création de jouets, de dessins animés, de spectacles radiophoniques inspirés des héros des illustrés, les licences de commercialisation de produits à leur effigie étaient en effet des moyens rentables de démultiplier les profits. Ainsi, forts de leur succès sur le marché intérieur et des sources de profits dérivés, les distributeurs de bandes dessinées disposèrent des moyens financiers nécessaires pour développer leur production, élargir leur audience et conquérir de nouveaux débouchés. Dès les années 1920, la bande dessinée américaine commença à s'exporter en Europe et à renouveler ses thèmes.

 

 

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   Les premières grandes réalisations

Vers 1920, les éditeurs américains cherchèrent à multiplier les genres et à s'éloigner de la bande dessinée humoristique qui avait jusqu'alors constitué l'essentiel de la production. Avec le récit d'aventures, la bande dessinée réaliste naissait. L'archétype du genre est peut-être l'adaptation d'un roman d'Edgar Rice Burroughs, Tarzan, seigneur de la jungle (Tarzan of the Apes, 1912), qui apparut en 1929 sous la forme d'un strip quotidien. Dessinée par Hal Foster, le futur créateur de Prince Valliant (1937), l'oeuvre connut un succès immédiat.

Dès lors, le principe de la bande dessinée d'aventures fut admis et donna lieu à toutes sortes de variations, mettant en scène des détectives justiciers (Dick Tracy, créé par Chester Gould en 1931), des magiciens dotés de pouvoirs extraordinaires (Mandrake, qui vit le jour en 1934 grâce à Lee Falk et à Phil Davis), des personnages de science-fiction (Buck Rogers, créé en 1929 par Philip Nowlan et par Dick Calkins ; Flash Gordon, imaginé en 1934 par Alex Raymond et par Edwin Balmer ; Brick Bradford, apparu pour la première fois en 1933 sous la plume de William Ritt et de Clarence Gray) ou des super-héros (Superman, conçu en 1938 par Jerry Siegel et par Joe Shuster ; The Phantom, créé en 1936 par Lee Falk et par Ray Moore).

 

 

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Les premiers albums

Avant 1933, la réédition des bandes dessinées précédemment parues dans les journaux se faisait sous les formes les plus diverses : de grands recueils quadrangulaires non reliés, des compilations au format allongé, ne présentant qu'une bande par page ; parfois, même, de minuscules livres reliés, avec une image unique par page. Ce n'est qu'en mai 1934 que l'homme d'affaires américain Max Gaines conçut le premier album moderne, appelé "comic book". En pliant en deux un supplément dominical de huit pages, puis encore une fois en deux, le lecteur obtenait un livret de trente-deux pages, au format pratique (17,5 × 26 cm environ). Il suffisait alors d'y ajouter une simple couverture en papier glacé, ornée d'un dessin accrocheur. Les Famous Funnies de Max Gaines, "tout en couleurs", connurent un succès considérable. Les premiers Action Comics mettant en scène des super-héros, publiés en 1938, étaient édités suivant cette méthode.

 

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 Les super-héros

Certains personnages, tels Superman, Batman, créé en 1939 par Bob Kane et par Bill Finger, The Human Torch, Captain Marvel ou Wonder Woman, connurent à l'approche de la Seconde Guerre mondiale une vogue sans précédent. Patriotes invincibles, les super-héros participaient à leur manière à la propagande américaine. En 1943, on a estimé que le public lisait 25 millions d'albums par mois. En 1950, ce chiffre atteignait déjà 50 millions, pour culminer en 1954 avec 150 millions d'exemplaires publiés mensuellement. Les aventures de super-héros connurent un déclin après la guerre et furent supplantées par d'autres genres : contes cocasses, mettant en scène des animaux (comme le chien Snoopy de Charles M. Schulz), adaptations de films ou de classiques littéraires au goût et à l'humour des adolescents (Conan le Barbare, adapté du roman de Robert E. Howard par Roy Thomas et Barry Smith), récits situés dans l'Ouest américain (Red Ryder de Fred Harman) ou dans la jungle (Tarzan, repris par le grand dessinateur Burne Hogarth en 1937), faits divers, histoires sentimentales, guerre, espionnage (Johnny Hazard de Frank Robbins ; The Spirit de Will Eisner), horreur, etc.

 

 

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  Les premières législations

L'inquiétude croissante des psychologues, des enseignants et des parents au sujet de l'éventuelle influence de la bande dessinée, en particulier lorsqu'elle versait dans la violence et dans l'horreur, sur la délinquance juvénile, amena le Sénat américain à se pencher sur la question en 1954. Anticipant la législation, les éditeurs fondèrent leur propre code et leur propre autorité de contrôle afin de veiller à l'application d'une déontologie dans ce domaine : le contenu des bandes dessinées était ainsi dûment vérifié. Au Royaume-Uni, des craintes de même nature entraînèrent le vote d'une loi au Parlement en 1955, visant à condamner toute personne responsable de l'impression, de la publication ou de la vente de bandes dessinées consacrées à la violence et à l'horreur.

Contraints par leur Comics Code et face à la concurrence de la télévision, les éditeurs connurent des difficultés qui les amenèrent, dans les années 1960, à remettre au goût du jour les aventures de super-héros. Chez Marvel Comics, le scénariste Stan Lee et les dessinateurs Jack Kirby et Steve Ditko inventèrent un univers composite, habité de héros au destin tragique comme The Fantastic Four (les Quatre Fantastiques : la Chose, la Pierre, l'Invisible et la Torche humaine) et Spiderman (Spidey, alias l'Homme-araignée), dont les pouvoirs exceptionnels n'attiraient que des mésaventures à leurs détenteurs.

 

 

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La reconnaissance d'un mode d'expression

L'adaptation au cinéma ou à la télévision des aventures des personnages les plus célèbres de la bande dessinée américaine permit à un public nouveau de mieux connaître cette forme d'expression ; Hollywood y découvrit un véritable filon pour ses productions à grand spectacle et ne tarda pas à produire quantité de films qui rencontrèrent parfois des succès considérables (Superman, Richard Donner, 1978 ; Batman, Tim Burton, 1989 ; Dick Tracy, Warren Beatty, 1990 ; Judge Dredd, Danny Cannon, 1995 ; le Fantôme du Bengale, Simon Wincer, 1996, etc.).

Les années 1960 virent également l'émergence d'une multitude de "fans" de bandes dessinées, collectionneurs organisés qui montaient des manifestations, publiaient des fanzines et établissaient chaque année un argus destiné à surveiller la spirale des prix atteints par certaines éditions rares. On leur doit également l'apparition de librairies spécialisées, qui vendent aujourd'hui l'essentiel de la production du genre aux États-Unis.

 

 

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L'âge adulte

La contre-culture de l'Amérique des années 1960 donna le jour à un style underground, destiné exclusivement aux adultes. Ce mouvement anticonformiste libéra la bande dessinée d'un certain nombre de tabous (notamment sexuels) et lui ouvrit de nouveaux champs d'expression. L'underground apporta en effet à la bande dessinée son psychédélisme et sa vision particulière du monde. Il favorisa également les récits à la première personne de Justin Green, de Robert Crumb (créateur du célèbre Fritz the Cat, félin désinvolte à la sexualité débordante) ou d'Harvey Pekar. Dans Maus (1972, publié en album à partir de 1986), Art Spiegelman relate de façon poignante comment son père a survécu à l'Holocauste ; cette oeuvre est un exemple de "roman graphique", genre aux ambitions élevées réservé à un public plus restreint.

 

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La bande dessinée franco-belge


 

Les pionniers

On considère souvent que la Famille Fenouillard est la première bande dessinée française ; oeuvre de Georges Colomb (alias Christophe), sous-directeur du laboratoire de Botanique de Paris, cette histoire parut en feuilleton dans l'hebdomadaire pour enfants le Petit Français illustré à partir de 1889. Christophe fut également l'auteur du Sapeur Camember (1890), du Savant Cosinus (1893) et des Malices de Plick et Plock (1893). La Famille Fenouillard était dépourvue de bulles (ou "phylactères"), comme toutes les premières bandes dessinées françaises, avec une exception notable cependant, celle des célèbres Pieds Nickelés, créés en 1908 par Louis Forton dans le journal l'Épatant.

Bien que moins développée en Europe, la parution de bandes dessinées en feuilletons dans les suppléments pour enfants de quotidiens ou dans des revues spécialisées fut à l'origine des personnages comme Bécassine, bonne bretonne un peu nigaude créée en 1905 par Maurice Languereau et Joseph Porphyre Pinchon pour la Semaine de Suzette et dont les aventures furent publiées quelques années plus tard en volumes. Dans les années 1920, Bibi Fricotin (imaginé en 1924 par Louis Forton), Zig et Puce (oeuvre d'Alain Saint-Ogan apparue dans le Dimanche illustré en 1925) et les traductions de Winnie Winckle (Bicot, 1920) ou de Bringing up Father (la Famille Illico, 1924) connurent les faveurs d'un jeune public de plus en plus exigeant.

 

 

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Les premières grandes réalisations

En Belgique, c'est dans le cadre du Petit XXe, le supplément au quotidien le XXe Siècle destiné aux jeunes, que naquit en 1929 sous la plume d'Hergé le personnage phare de la bande dessinée européenne, le reporter Tintin, accompagné de son inséparable chien Milou. Toutefois, malgré quelques réussites marquantes européennes, le développement de la bande dessinée au début du siècle fut surtout américain.

Dans l'entre-deux-guerres, sous l'influence du Journal de Mickey, créé en France en 1934 et qui connut un immense succès, plusieurs magazines virent le jour, comme Hurrah!! en 1935, Junior en 1936 ou le Journal de Toto en 1937. En 1938, l'éditeur belge Dupuis lança l'hebdomadaire Spirou, qui mettait notamment en scène le héros éponyme imaginé par Rob-Vel et Davine. À la même époque, en Italie, en Allemagne ou en Espagne, les créations nationales originales étaient, comme en France, minoritaires par rapport aux créations américaines. En Grande-Bretagne, cependant, les années 1930 virent la naissance de plusieurs périodiques, comme The Midget en 1931, Sunshine en 1938 ou Bouner en 1939.

 

 

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L'âge d'or

C'est au tournant des années 1940-1950 que se développa une véritable école de la bande dessinée franco-belge. Plusieurs magazines pour enfants firent leur apparition après la guerre : le Coq Hardi, fondé en 1945 par Marijac, Fripounet et Marisette, le journal Vaillant (où apparut pour la première fois Pif le Chien), Wrill ou encore Héroïc-Albums. Mais l'initiative la plus marquante vint encore une fois de Hergé. Après avoir écrit plusieurs albums des aventures de Tintin, celui-ci fonda en 1946 le Journal de Tintin, auquel collaborèrent des auteurs comme Edgar P. Jacobs (créateur de Blake et Mortimer en 1946), Jacques Martin (créateur d'Alix en 1948), ainsi que Greg (créateur d'Achille Talon en 1963), Bob de Moor, Raymond Macherot (Chlorophylle et Minimum), Jean Graton (Michel Vaillant), Tibet (Ric Hochet), Dupa (Boule et Bill), etc.

En 1959, René Goscinny, autre figure marquante de la bande dessinée francophone d'après-guerre, fonda avec Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier le journal Pilote, qui ouvrit notamment ses pages aux productions de Tabary (Iznogoud), de Cabu (le Grand Duduche) et de Jean Giraud, alias Moebius (Blueberry). Le héros du journal, Astérix le Gaulois, devait devenir le personnage le plus célèbre de la bande dessinée française.

Le Journal de Spirou connut un succès grandissant et permit à un bon nombre de créateurs de développer leurs talents. Ce fut le cas de Jijé, tête de file de toute l'équipe et inventeur du personnage de Fantasio ; de Morris, créateur de Lucky Luke ; de Franquin, avec Gaston Lagaffe et le Marsupilami ; de Peyo avec les Schtroumpfs, ou encore de Tillieux (Tif et Tondu avec Will, d'après Fernand Dineur). Spirou, Tintin puis Pilote accueillirent et encouragèrent presque tous les créateurs de bandes dessinées jusqu'aux années 1980.

Avec une ou deux décennies de retard, la production de bande dessinée franco-belge donna lieu au même phénomène commercial qu'aux États-Unis, créant des marchés dérivés assez importants et atteignant pour certaines séries d'albums ou pour certaines publications des chiffres de vente astronomiques (plus de 250 millions d'albums d'Astérix ont ainsi été vendus à travers le monde).

 

 

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L'âge adulte

La bande dessinée connut en Europe une reconnaissance officielle à partir des années 1960, avec la mise en place d'un club de bandes dessinées en France en 1962, d'un Salon de la bande dessinée en Italie en 1965, avec la création du Salon international d'Angoulême et le développement d'une activité d'étude et de recherche sur ce neuvième art.

Parallèllement, la bande dessinée pour adultes se développa avec Barbarella de Jean-Claude Forest (1964) et Valentina de Guido Crépax (1965). Les années 1970 virent apparaître de nouveaux créateurs en ce domaine : Philippe Druillet, avec Lone Sloane, publié dans Pilote à partir de 1974 ; Tardi, créateur d'Adèle Blanc-Sec et adaptateur de romans comme la série des Nestor Burma, d'après Léo Malet ; Enki Bilal (la Croisière des oubliés, 1975 ; le Vaisseau de pierre, 1976 ; la Ville qui n'existait pas, 1977 ; les Phalanges de l'ordre noir, 1979 ; la Femme piège, 1986), Pétillon (créateur de Jack Palmer) ou Gérard Lauzier (auteur des Tranches de vie). Comme aux États-Unis, la culture underground trouva en Europe, et en France en particulier, un moyen d'expression adapté. Ce furent les créations d'Hara-Kiri en 1960, de Charlie Mensuel en 1969 et de Charlie Hebdo en 1970 qui firent une large part à des créateurs peu conformistes, à la satire politique et sociale et aux nouveautés. De nombreux auteurs y ont fait leurs débuts, notamment Reiser, Wolinski, Gébé, Fred et Cabu.

 

 

Au milieu des années 1970, le groupe Bazooka (Olivia Clavel, Loulou Picasso, Bernard Vidal, Moulieg, etc.), en inventant le concept de "dictature graphique", a permis un certain renouveau des techniques utilisées par les auteurs de bandes dessinées (collage, "cut-up", etc.). Les publications du groupe (Bien dégagé sur les oreilles ; Activité sexuelle : normale!!) suscitèrent souvent des réactions violentes, mais contribuèrent à la reconnaissance de l'"esthétique BD" dans d'autres domaines de la création : la publicité et le cinéma (Patrice Leconte, Marc Caro, Gérard Lauzier et Enki Bilal sont passés à la réalisation, Moebius a participé aux décors de nombreux films, notamment Tron, Alien et le Cinquième Élément), la musique pop (l'Affaire Louis Trio, Dennis Twist) mais aussi les arts plastiques, grâce à l'explosion de la figuration libre (Robert Combas, François Boisrond, les frères Di Rosa) à l'orée des années 1980.

 

Partie de Chasse
De hauts dignitaires de l'ancienne Union soviétique se retrouvent en Pologne pour
une chasse en forêt qui se terminera de façon dramatique. Le trait sombre et pesant
de Bilal s'accorde parfaitement à la violence psychologique du scénario de Christin.
Pierre Christin et Enki Bilal, Partie de chasse, 1983.

 

 

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Revues et bandes dessinées d'auteur

Dans les années 1970, quatre revues importantes firent leur apparition en France. L'Écho des Savanes vit le jour en 1972, à l'initiative de Claire Bretécher (les Frustrés), de Marcel Gotlib (Rubrique-à-Brac, Gai-Luron, les Dingodossiers avec Goscinny) et de Nikita Mandryka (le Concombre masqué), et afficha dès ses premiers numéros un humour volontairement provocateur. Dix ans plus tard, Liberatore (Ranxerox), Milo Manara (le Déclic), Martin Veyron (Bernard Lhermite) ou Philippe Vuillemin (les Sales Blagues) contribuèrent au succès du journal, qui se partage désormais entre sujets de société et érotisme souvent racoleur.

En 1974, Marcel Gotlib fonda la revue Fluide Glacial, où parurent des séries à succès comme les Bidochon et Kador (Christian Binet), Carmen Cru (Jean-Marc Lelong) ou Superdupont (Lob et Gotlib) ; l'humour "glacé et sophistiqué" d'Edika (l'Affaire Clarky), de Tronchet (Raymond Calbuth) et de Goossens (Le romantisme est absolu) put s'y étaler avec bonheur.

Métal hurlant fut lancé en 1975 par un quatuor composé de Jean Giraud, de Philippe Druillet, de Jean-Pierre Dionnet et de Bernard Farkas. Le journal se spécialisa dès ses débuts dans le registre de la science-fiction. Tardi, Pétillon, Moebius (les Aventures de John Difool, avec Jodorowsky), F'Murr (le Génie des alpages), Bilal et d'autres créateurs de renom y collaborèrent, mais le journal a également ouvert ses pages à de jeunes créateurs, comme Jacques de Loustal (la Note bleue, les Frères Adamov) ou Frank Margerin (Radio Lucien).

Enfin, le journal (À suivre) fut créé en 1978 par les Éditions Casterman qui voulaient se doter d'un secteur pour adultes. À son sommaire figuraient des auteurs déjà consacrés comme Hugo Pratt (Corto Maltese), Jean-Claude Forest (le Roman de Renart) ou Jacques Tardi, ainsi que d'autres alors moins connus : François Schuiten (la série des Cités obscures et la Fièvre d'Urbicande, avec Benoît Peeters), Boucq (la Pédagogie du trottoir, Point de fuite pour les braves), François Bourgeon (les Passagers du vent, les Compagnons du crépuscule), Didier Comès (Silence), etc.

Cependant, ces périodiques, ainsi que leurs prédécesseurs, subirent un ralentissement au cours des années 1980, et la plupart d'entre eux (à l'exception notable de Fluide Glacial) disparurent entre 1988 et 1993. Certaines maisons d'édition (Futuriopolis notamment, créé en 1974 par le graphiste Étienne Robial) cessèrent leurs activités, alors que des structures plus petites, comme l'Association, permirent à de nouveaux artistes (Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, Kienoffer) de s'adresser à un public choisi et exigeant.

Au milieu des années 1980, les mangas venus du Japon firent leur apparition et se développèrent rapidement grâce à la prolifération de dessins animés nippons sur les chaînes de télévision. Aujourd'hui, en France tout du moins, la bande dessinée est surtout un phénomène d'édition.

 

L'Incal lumière
Parti à la recheche du mystérieux Incal, le détective John Difool
est entraîné dans une interminable aventure initiatique dont il
tente de percer le sens. La série, qui comptera six albums, fut
publiée dans le magazine de science-fiction Métal Hurlant à partir
de 1980.
Alexandro Jodorowsky et Moebius, l'Incal lumière, 1982.

 

 

 

 

 

 

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L'avenir de la bande dessinée


 

Véritable phénomène de société, la bande dessinée s'est aujourd'hui totalement institutionnalisée. Désormais enseignée à l'université (depuis la fin des années 1970, la Sorbonne accueille un cours qui lui est entièrement consacré), elle fait l'objet de salons, de festivals et de rencontres internationales multiples. Sur le modèle de l'OuLiPo, un Ouvroir de bande dessinée potentielle (OuBaPo) a vu le jour, à l'initiative de certains membres de l'Association. Marché économique considérable, à cheval sur les secteurs de la presse et de l'édition, la bande dessinée représente un moyen d'expression spécifique, développé au XXe siècle, et doté, à la veille du XXIe siècle, d'une histoire, d'une légitimité et d'une vitalité économique qui lui assurent un avenir prometteur.


 

 

 

 

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